A
la fin des années quatre-vingt, lIrak était
sans conteste lun des pays les plus actifs
dans le domaine de la remise à niveau de chars
dorigine soviétique. Pour les forces blindés
irakiennes, laffaire était intéressante :
en 1986, les troupes de Saddam Hussein possédaient
en effet 4 500 blindés des séries T54/55/62/72.
En 1990, il en restait presque
4 000 tandis quà lissue de la guerre
du Golfe, larmée irakienne en comptait une
quantité pouvant être évaluée à environ 1 400
unités. A eux seuls, ces chiffres sont suffisants
pour expliciter la conception et la production
de nombreuses versions dérivées et/ou modernisées.
Or, en loccurrence, ce nest certes pas limagination
qui manquera aux ingénieurs de Bagdad ;
ils iront jusquà monter le canon de 125 mm
2A46 du T-72M1 sur un châssis de T-55. mais
une autre version, mettant laccent non pas
sur la puissance de feu mais sur un renforcement
de protection par le montage dun surblindage,
sera particulièrement remarqué. En effet, donnant
en résultat un char à laspect massif, elle
suscite quelques remarques sur ses caractéristiques
mais aussi sur la doctrine de lemploi.
La série des chars soviétiques T54/55
date de limmédiat après-guerre et ils ont été
conçus avec la technologie de lépoque ;
ils sont notamment équipés dun blindage de
première génération. Celui-ci, formé dacier
homogène est mal adapté aux conditions du combat
moderne et notamment à la puissance actuelle
des charges creuses. De plus, la tourelle entièrement
coulée dun seul bloc et la caisse étroite se
prêtent mal à ladoption en rattrapage dune
protection utilisant un blindage composite.
La seule solution viable consiste donc à surblinder
le char en utilisant des « briquettes
« additionnelles réactives, donc tapissées
intérieurement dexplosif dispersant le dard
de la charge creuse. Ou passives. En ce qui
concerne le T-55 surblindé objet de cet article,
il semble que les éléments formant le surblindage
soient passifs, bien que lon ne puisse pas
formellement éliminer lhypothèse de protection
réactive. Dautant plus que rien nempêche de
remplacer, sous un même volume extérieur , danciennes
briquettes passives par de nouvelles incorporant
un explosif adéquat. Passive, la protection
additionnelle nen a pas moins dans le cas présent
une structure multicouche. En effet seule celle-ci
est efficace aussi bien lors de limpact dune
charge creuse que en cas datteinte par le projectile
dun obus APFSDS (Armour Piercing Fin-Stabilised
Discarding Sabot, expression anglaise pouvant
être traduite par « obus flèche « ).
En ce qui concerne la disposition des briquettes,
force est de constater que laccent a été mis
sur la protection de face . Effectivement,
les éléments de surblindage sont surtout présents
sur le glacis avant et sur larc frontal de
la tourelle. Tandis que le premier est protégé
par deux dispositifs parallélépipédiques de
tailles inégales, le second est pourvu de deux
jeux de quatre briquettes de forme adaptées.
Détail intéressant, la briquette située immédiatement
à gauche du canon est équipée dun mécanisme
permettant de la relever. Outre la présence
des dispositifs de blindage additionnels évoqués
ci-dessus, les deux parties avant supérieures
du train de roulement sont également protégées
et ce, au moyen de huit briquettes de part et
dautre. Enfin, rejetés vers larrière par deux
bras de support, quatre éléments protègent la
nuque de la tourelle. On peut sinterroger sur
cette disposition très particulière, la présence
des montants ne semblant pas, a priori, de nature
à augmenter le degré defficacité de la protection.
La justification semble en effet se trouver
ailleurs : déjà chargé puisque supportant
le canon, lavant de la tourelle est de plus
déséquilibré par lalourdissement dû au surblindage.
Cette disposition semble donc avoir été adopté
par cette modification peut paraître discutable.
En effet, si elle apporte un gain notable au
niveau de la protection, on peut cependant noter
quelle est au contraire pénalisante en termes
de mobilité. Car le poids du surblindage est
tel quil fait chuter la puissance spécifique
de lengin dune valeur déjà modeste de 16 cv/tonne
à 14,7 cv/tonne. A titre de comparaison , un
char moderne tel que le Leopard 2 dipose de
près de 30 cv/tonne. Lorsque lon sait que,
dans les conditions de combat moderne, la capacité
daccélération est gage de survie puisquelle
permet des changements dallure , on ne
peut que sinterroger sur le bien-fondé de lopération .
Sauf si lon se souvient que, notamment lors
de la guerre du Golfe, de nombreux chars irakiens
ont été utilisés en statique, sommairement protégés
par une excavation. En revanche, rendus vulnérable
parce que nutilisant pas le déplacement en
tant que protection dynamique, il devenait
intéressant de les surblinder même au
détriment du poids. Cette version très particulière
trouve sans doute là sa justification :
de toute façon dépassée sur les plans de la
mobilité et de la puissance de feu, elle peut
cependant être valorisée dans des missions statiques
de « bunker auto-transportable ».
Deuxième remarque : ainsi disposé, le blindage
additionnel semble non pas protéger les uvres
vives du char mais bel et bien les hommes déquipage.
Outre lavantage tactique dans lemploi particulier
mentionné ci-dessus, il pourrait exister, dans
une certaine mesure, une justification psychologique.
Cette explication, quelques peu plausible quelle
apparaisse, nen pas moins déjà trouvé ailleurs
un écho favorable. Il faut se souvenir, par
exemple, que la seule raison qui a poussé les
concepteurs du Merkava israélien à placer le
moteur à lavant du véhicule est justement le
souci de préservation de léquipage. Quoi quil
en soit, les T- ne sont pas les seuls chars
irakiens à avoir été surblindés de la sorte.
Un équipement, quoique moins volumineux mais
reprenant les mêmes dispositions générales,
a également été observé sur les Type 69-II dorigine
chinoise.
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